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Novembre 99 - Guadeloupe Capricieux et dévastateur

Eh oui, vous l'avez compris, nous allons aborder le sujet, plus que stressant, des cyclones, aujourd'hui denommés ouragan ou hurricane in english. Mi-octobre, nous avons eu une première inquiétude avec José. Nous étions à l'époque à Tobago dans le sud de l'arc antillais, zone normalement épargnée par les cyclones. Et pourtant, en cette fin de période cyclonique, José, qui avait pris naissance très bas en latitude pointait sur nous. Puis en prenant de la vigueur, il avait infléchi sa route vers le Nord. La Martinique, puis la Guadeloupe avaient été en alerte. Et c'est finalement, Saint Martin qui avait été touché, sans heureusement, faire trop de dégâts.

Rappelons quelques informations sur ce phénomène.

Les cyclones touchant les Petites Antilles se forment généralement dans l'Atlantique entre le 5° et le 15° Nord, souvent dans la région des îles du Cap Vert. Les facteurs nécessaires à leurs formations sont une zone instable créant des courants ascendants, une force déviante faisant tourner ses courants dans le sens inverse des aiguilles d'une montre pour l'hémisphère Nord. Pour les maintenir et les faire forcir, il suffit d'une énergie fournie par la chaleur de la mer (minimum 26°C).

Ces perturbations tropicales sont des dépressions tropicales si les vents sont inférieurs à 34 noeuds, des tempêtes tropicales si les vents sont compris entre 34 et 64 noeuds, des cyclones si les vent dépassent les 64 noeuds. Les ouragans sont ensuite classés d'après l'échelle de Saffir-Simpson de 1 à 5. La force 5 indique des vents de plus de 135 noeuds (250 km/h). A partir de 34 noeuds, le phénomène est baptisé. Les noms sélectionnés pour cette année : Arlene, Bret, Cindy, Dennis, Emily, Floyd, Gert, Harvey, Irene, Jose, Katrinaz, Lenny, Maria, Nate, Ophelia, Philippe, Rita, Stan, Tammy, Vince, Wilma.

Les effets dévastateurs sont dus aux inondations, à la force des vents, à la houle, à l'état de la mer et à la marée de tempête. Les inondations sont dues à des pluies torrentielles provoquant des crues énormes et soudaines qui sont la cause principale des accidents mortels dans la population. Les vents sont plus forts à droite de la trajectoire car ils s'ajoutent à la vitesse de déplacement. Ce qui détermine pour la navigation, un demi-cercle "dangereux" et un demi-cercle "maniable". Dans la zone proche du centre, l'oeil, les vents sont d'une extrême violence, 100 à 150 noeuds, et à plusieurs dizaines de milles, leur vitesse peut encore atteindre 50 à 100 noeuds. Près du centre, la force et le changement rapide de la direction du vent créent une mer grosse, désordonnée, très dangereuse. Le cyclone est toujours précédé d'une houle de secteur Est, virant progressivement à l'Ouest. C'est celle-ci qui provoque les plus gros dégâts, les côtes sous le vent étant rarement protégées pour subir de tels assauts. La baisse de la pression atmosphérique est proportionnelle au rapprochement de l'oeil du cyclone. Elle peut descendre juqu'à 940 mb. Gilbert, en 1988, a atteint 885 mb. Le niveau de la mer s'élève, s'ajoutant à l'effet de houle. Ce qui rend précaire tout abri protégé par des digues ou des terrains de faible hauteur.

La période des cyclones se situe du mois de juillet au 15 octobre environ, avec des statistiques maximales de mi-août à fin septembre. Exceptionnellement, des cyclones sont possibles en dehors de cette période. Les cyclones les plus dangereux pour les petites Antilles sont ceux nés près de l'Afrique qui ont tout l'Atlantique pour se développer. Ceux débutant en dépression près de l'arc antillais n'atteignent généralement la puissance cyclone qu'à l'approche des Grandes Antilles ou du continent américain.

Et puis, il y a les cyclones qui n'en font qu'à leur tête, imprévisible de leur naissance à leur disparition, comme Mitch ou Lenny.

Fin de l'année 98, Mitch avait déjà surpris son monde. Son arrivée tardive, le 22 octobre, son lieu de naissance, Panama, et son parcours imprévisible étaient complètement inhabituels. Son passage fut désastreux et meurtrier sur le Honduras et le Guatemala.


HUR : Hurricane (ouragan) - T.S. : Tropical Storm (tempête tropicale)

La période cyclonique touche à sa fin

Pour prévenir les risques d'un cyclone, la plupart des plaisanciers, nous y compris, naviguent ou laissent leur bateau dans le sud des Petites Antilles ou au Venezuela en période cyclonique, c'est à dire du 1er juillet au 31 octobre. Pour dissuader les remontées trop rapides dans le nord, de nombreuses assurances, comme la nôtre, n'assurent pas le risque cyclonique. Fin Octobre, nous amorçons donc sagement notre remontée de l'arc antillais. Après une halte dans l'eau transparente des Tobago Cays et dans la belle Rodney Bay de Sainte Lucie, nous passons quelques jours en Martinique avant de rejoindre nos nouveaux amis, rencontrés aux Testigos, en Guadeloupe.

Un temps bizarre

La navigation de la Martinique à la Guadeloupe s'était faite dans un temps gris, brumeux avec grains et rafales pouvant atteindre 35 noeuds sous les grains. Un temps de neige très bizarre ! La première semaine en Guadeloupe, nous avons essuyé 200 mm de précipitation en 1 journée. Cette pluie continue a même failli remettre à plus tard notre sortie de l'eau prévue le week end suivant. Nous y avons réparé, suspendu par les sangles du travelift, notre safran endommagé à Tobago et rétouché les pointes de rouille de la quille. C'est d'ailleurs ce dimanche que Charlie et Renée nous apprennent l'existence d'une dépression au sud de la Jamaïque.

Lundi 15 : Lenny est annoncé

Le lundi matin, de retour à l'eau et en fréquence à la vacation de Maurice à 9 h, nous apprenons que la dépression est maintenant devenue une tempête tropicale nommée Lenny. Son déplacement est tellement inhabituel, vers l'est, que Maurice, en toute bonne foi, nous annonce qu'elle s'éloigne vers le Yucatan au Mexique alors qu'elle revient sur l'arc antillais. Mardi matin, la tempête tropicale s'est transformée en ouragan. Il poursuit sa route à l'est à 11 noeuds. Placide nous ayant prêté une voiture, nous partons vers le Nord de Basse Terre, du côté de Sainte Rose, Grande Anse, Deshaies. A Deshaies, nous faisons un petit tour sur la plage et observons les quelques bateaux au mouillage, 3 catamarans, 2 monocoques et un bateau moteur.

Mercredi 17 : Lenny frappe avant l'heure et par surprise pendant la nuit

Mercredi matin, le 17, c'est la surprise, une houle importante a atteint les petites Antilles pendant la nuit et a fait des ravages. Beaucoup de bateaux mouillés sur les côtes sous le vent sont à la côte, abimés ou pulvérisés, comme c'est le cas d'un des catas de Deshaies. Lenny est pourtant à plus de 300 milles de la Guadeloupe. Il amorce une montée au Nord. Les îles vierges, Saint Martin et Saint Barth sont en état d'alerte. De nombreux bateaux viennent se réfugier à Pointe à Pitre, au mouillage de l'ilet Cochon, près de nous, ou dans la marina de Bas du Fort.

Jeudi 18 : Etat d'alerte sur les îles du Nord

Vendredi 19 : Lenny s'acharne


Bulletin spécial n° 72 du jeudi 19 novembre 99 à 9 h TU

A 6 h TU, Lenny était situé au 18°0 N - 62°9 W
A 9 h TU, sa position estimée était 18°1 - 62°8 W

Etat stationnaire.
Faiblissant, vent à 85 noeuds, rafales à 105 noeuds.



Vents supérieurs à 64 noeuds
- 25 miles dans le cadran NE
- 25 miles dans le cadran SE
- 25 miles dans le cadran SW
- 25 miles dans le cadran NW
Vents supérieurs à 50 noeuds
- 50 miles dans le cadran NE
- 50 miles dans le cadran SE
- 50 miles dans le cadran SW
- 50 miles dans le cadran NW
Vents supérieurs à 34 noeuds
- 75 miles dans le cadran NE
- 125 miles dans le cadran SE
- 90 miles dans le cadran SW
- 60 miles dans le cadran NW


La pression au centre de Lenny est 982 hp.

Vagues supérieures à 4 mètres
- 150 miles dans le cadran NE
- 300 miles dans le cadran SE
- 300 miles dans le cadran SW
- 150 miles dans le cadran NW



Positions estimées :
le 19 à 18 h TU
18°2 N - 62°4 W
Vent 80 noeuds
Rafales 95 noeuds
le 20 à 6 h TU
18°4 N - 61°9 W
Vent 75 noeuds
Rafales 90 noeuds
le 20 à 18 h TU
18°9 N - 61°0 W
Vent 70 noeuds
Rafales 85 noeuds



Lenny est stationnaire sur Saint Martin. Cela fait près de 20 heures qu'il s'acharne sur l'île. D'énormes dégats à terre au niveau des routes et téléommunications. Plus de 100 bateaux ont été cyclonés ; ils sont au rivage ou coulés. Aux Testigos, la colline d'Iguana, l'île principale, a été ravinée. 3 maisons ont été emportées et le groupe éléctrogène, qui se trouvait dans l'une d'entre elle et pour lequel Charlie vient d'envoyer des pièces afin de le remettre en route a été sauvé de justesse. A Margarita, la houle aurait atteint 8 m. En Martinique, le ponton du Bakoua de l'anse Mitan a été emporté. Toutes les îles sont plus ou moins sinistrées. A la radio, de nombreux messages sont lancés pour retrouver tel ou tel bateau dont on n'est sans nouvelles. De nombreux bateaux ont quittés expressement Saint Martin pour se réfugier à Antigua ou en Guadeloupe. En ont-ils eu le temps ?

Les pluies de la journée de jeudi et de la nuit de jeudi à vendredi en Guadeloupe ont été diluviennes. Les inondations sur Grande Terre entre Gosier, Morne à l'eau et Jary sont importantes : plus de 1 m d'eau dans les rues, parfois 2 m. Vendredi, les Guadeloupéens ont consigne de rester chez eux. La radio passe des messages d'entraide pour retrouver des personnes disparues ou dont on est sans nouvelles. La côte sous le vent de Basse Terre continue à recevoir les assauts de la mer en furie. Les cases du bord de mer sont détruites et emportées. Le niveau de la mer a monté et dans la marina, l'eau est à quelques centimètres de pontons fixes.

Mais que fait-il ?

L'inquiétude s'accroît. Le bruit court que Lenny s'affaiblit mais qu'un nouvel oeil se crée plus au Sud du côté d'Antigua. Celui-ci poursuivrait sa route vers le Sud et passerait donc en Guadeloupe. Au mouillage des Cochons, des bateaux diffusent sur la VHF des points météo toutes les 3 heures. Nous nous apprêtons à passer une nuit difficile. Déjà, l'orage est omni-présent. Nous évitons de communiquer par Blu avec Renée et Charlie au risque de faire brûler notre radio et nos appreils électroniques. Puis à 8 h du soir, le vent passe Ouest ; à 1 h 30 du matin, il change encore de secteur et passe Nord. Nous nous rapprochons dangereusement du bord ; la profondeur a diminué de 8 m à 3,90 m suite au changement de direction du vent. A 5 h, un peu trop près du petit embarcadère en béton, nous relevons l'ancre et mouillons un peu plus loin.

Samedi 20 : La délivrance

A 9 h, tout est fini. Nous apprenons que l'ouragan Lenny est redevenu tempête tropicale et se dirige vers l'Atlantique. Nous aurons subi de loin ou de plus près mais sans danger réel pour nous un cyclone. Nous mesurons à quel point l'homme est impuissant devant de telles catastrophes naturelles. Nous compâtissons à la douleur de ceux qui ont perdu leur maison, leur bateau et des familles qui comptent des disparus. Pour nous, Lenny est seulement une leçon. Nous savons déjà que notre route croisera tôt ou tard d'autres petits Lenny ...



Bilan des cyclones 99