Semaine 1 : Mise en route

Mardi 5 août. Les amarres sont larguées. Et que vogue Samana !
Nous quittons Saint Malo dans la grisaille.
Qu'importe, notre destination : le Sud et les Tropiques !

Nous effectuons de petites étapes de 30 à 40 milles et nous nous arrêtons chaque après-midi dans un mouillage pour la baignade. Les mousses apprennent à se baigner en "pleine mer" sans avoir pied ; ils ne partent plus d'une plage mais directement de la jupe et de l'échelle de bain du bateau.

Les étapes de la semaine : Bréhat, Trébeurden, l'Aberwrach, Camaret.


Nous consacrons cette semaine à l'acquisition de certains réflexes qui vont permettre, tout au long de l'année, de voyager dans les conditions de sécurité et de santé les meilleures. Inutile de risquer de rechercher un éventuel hopital de brousse dans un coin perdu d'Afrique ! Il vaut mieux prévenir que guérir l'insolation et la déshydratation, les chutes à bord ou plus grave les chutes par dessus bord, le mal de mer, les problèmes de peau, brûlures ou infections.




Semaine 2 : La baleine

Partis tôt de Camaret, nous quittons la mer d'Iroise par une journée ventée. Le Force 3 à 5 annoncé est en fait un Force 6 établi avec des pointes à 7. Le vent, de régime Sud, est en plein dans le nez. Le mal de mer sévit. Nous tirons 2 grands bords. Pendant la nuit, nous traversons pour la seconde fois le rail des cargos. En route de collision avec un cargo, nous devons nous signaler en éclairant nos voiles. Enfin, nous voilà définitivement sortis de ce rail et c'est bien soulageant !

Après 24 h de mer, le constat est désolant : 150 milles parcourus et uniquement 60 dans la bonne direction. Le vent mollissant autorise la mise en marche du moteur. Nous progressons enfin vers l'Espagne ! En fin d'après midi, une trentaine de dauphins d'environ 1 m à 1,20 m viennent nous saluer. Un peu plus tard, nous apercevons le souffle à 2 m de haut d'un rorqual. Puis, l'horizon s'assombrit, des orages, phénomènes impressionnants en mer s'annoncent. Nous verrons des éclairs. Nous éteignons tous nos appareils électriques et débranchons les antennes pour limiter les dégâts en cas de tombée de la foudre. La pluie forte aplanit la mer et réduit la visibilité. Nous contournons les grains.

La vie s'organise à bord : lecture, cuisine, matelotage, sieste. La température de l'eau, sous l'influence du Gulf Stream, a augmenté de 21 à 24°C. Enfin après 4 jours et 3 nuits et près de 40 h de moteur, nous apercevons la tour d'Hercule, phare d'atterrissage de la Corogne. Ce phare romain est le phare en activité le plus vieux du monde !



Semaine 3 : Les rias de Galice

La Galice est la région d' Espagne située à son extrême Nord-Ouest. Cette région bien connue pour son chemin de pélérinage, qui mène à sa capitale, Saint-Jacques-de-Compostelle, offre de nombreuses possibilités de navigation. Elle comporte 1200 km de côtes sinueuses et accidentées, 750 plages, 45 ports de plaisance et 17 rias.

Nous avons découvert quelques unes de ses rias, vastes estuaires qui pénètrent profondément dans les terres et finissent par perdre leur caractère maritime en naviguant des rias de la côte de la Mort aux basses rias, les plus grandes de Galice qui s'étendent uniformément du sud-ouest au nord-est.

Intrigués par les belles éoliennes qui bordent la côte, nous ferons une première halte à Camarinas et partirons en ballade au "parque eolico" pour les examiner de plus près. Nous dépassons ensuite au moteur et dans le brouillard le Cap Finisterre, extrémité occidentale du continent européen, accompagné par l'assourdissant beuglement de son phare. Peu après, nous percevons un choc. Le moteur immédiatement débrayé, un rapide coup d'œil à l'hélice permet de confirmer l'intuition. Elle est emberlificotée dans des bouts et des sacs en plastique : la pollution espagnole est malheureusement loin d'être légendaire ! Nous rejoignons, à la voile, le port le plus proche, Fisterra, pour une inspection générale en plongée.

Puis nous passerons une nuit à l'île Salvora, une île au caractère breton avec ses roches granitiques, ses marées et son épais brouillard avant d'atteindre la ria de Vigo, la plus belle de Galice. Mouillés à l'ile Ciès, nous profiterons alors de notre meilleure baignade espagnole, sable blond et coquillages, avant de rejoindre Vigo et son port de plaisance, bruyant et sale, en vue d'un approvisionnement conséquent.



Semaine 4 : C'est la rentrée …

Après avoir refait l'approvisionnement en eau, vivres et gasoil, nous sommes prêts à appareiller vers les côtes du Portugal, puis l'archipel de Madère. Nous faisons cap sur la belle baie de Baïona, dernière étape espagnole. Nous y attendons le changement de direction du vent, aujourd'hui Sud Sud-Ouest et dans le nez. Nous n'avons pas du tout envie de revivre des conditions analogues à celles du premier jour de la traversée du golfe de Gascogne. Nous attendons donc 1 jour, 2 jours. Plus le temps passe, moins les conditions sont favorables. Non seulement le vent n'est pas dans la bonne direction mais sa force augmente : avis de grand frais (force 7) puis avis de coup de vent (force 8). Nous sommes maintenant bel et bien contraints d'attendre.

Nous en profitons pour faire la rentrée. Eh oui ! il fallait s'y attendre, c'est de saison … Nous sortons avec une semaine d'avance les cours du CNED, livres de lecture, agendas, manuels, guides corrigés, fiches d'évaluation. Entre deux cours, nous visitons une reproduction grandeur nature de la "Pinta", une des trois caravelles de la première expédition de Christophe Colomb, qui a atterri à Baïona à son retour des Indes. Rustique, la navigation en 1492 !

Nous profitons d'une petite fenêtre météo d'une dizaine d'heures pour nous échapper. Adios Spania et viva Portugal !



Semaine 5 : Cap au Sud

Les côtes inhospitalières du Portugal nous contraignent à pratiquer les marinas. A chaque escale, Viana do Castelo, Leixoes près de Porto et Peniche près de Lisbonne, l'accueil est chaleureux. Les portugais mettent un point d'honneur à dialoguer en français. Tant mieux, nous n'avons aucun lexique portugais et ne connaissons qu'un seul mot : abrigado ou abrigada qui signifie merci selon que l'on s'adresse à un homme ou une femme.

Partis de Peniche à la nuit tombée avec un vent de nord force 5, une mer agitée à forte, nous naviguons vent arrière avec 2 ris et un génois à moitié roulé. La nuit est remuante, le bateau roule énormément et fait de belles embardées. Le lendemain, il est difficile de cuisiner et la salade fait un vol plané dans le carré. Cependant, nous filons et le courant nous pousse. Notre record est établi : 161 milles dans la journée ; nous arriverons plus tôt que prévu. Tant mieux ! En fin de journée, nous rejoignons Yannick, navigateur solitaire, à bord de Dose. Arrivés dans son travers, nous réduisons la voilure en affalant la grand-voile pour rester à sa hauteur et lui permettre de dormir. Nous communiquons régulièrement avec lui par VHF, lui transmettons des infos météo et le rassurons dans ses démarches. Pendant la nuit, la mer se forme, le vent forcit à 7 et nous surfons régulièrement. Au matin, le vent faiblit mais la mer reste forte avec des creux de 3 à 4 m. Une vague nous surprend par l'avant alors que nos yeux sont rivés sur l'arrière. C'est la douche !

Le jour suivant, le temps se radoucit et la mer se calme enfin. Nous pêchons 2 belles dorades coryphènes de 40 cm que nous dévorons en papillote le soir même. Le phare de la pointe est de l'île de Porto Santo est en vue. Au matin, nous arrivons sur la côte sud, face à une plage de sable orange et noir, longue de 9 km. Nous mouillons par 4 m de profondeur ; l'eau turquoise et transparente est à 22°C, nous ne tarderons pas à piquer une tête !



Semaine 6 : La casa de Christophe Colomb

L'archipel de Madère, île de Macaronésie, se trouve à environ 700 km des côtes africaines, pratiquement à la même latitude que Casablanca et à approximativement 1000 km de Lisbonne. Partis de Peniche, village côtier proche de la capitale portugaise, nous avons navigué 4 nuits et 3 jours pour atteindre l'archipel en parcourant un peu plus de 500 milles. L'archipel se compose des îles de Madère, de Porto Santo, des îles Desertas et Salvages. Il fût découvert par Gonçalves Zarco en 1419. La colonisation commença dès 1425 et la culture de la canne à sucre ne tarda pas à faire son apparition. En 1460, la renommée de Madère en Europe, grâce à l'or blanc n'était plus à faire.

Christophe Colomb, alors marchand de sucre effectua 3 voyages à Madère. Il épousa Felipa Moniz, la fille d'Isabel Moniz et de Bartomoleu Perestrelo, premier capitaine de l'île de Porto Santo. La casa de Christophe Colomb de Porto Santo présente des portraits du navigateur, des instruments et des cartes de navigation de l'époque ainsi que le trajet de ses 4 voyages. Autre temps, autre époque : en débarquant dans le port de Porto Santo, nous remarquons un beau voilier avec un mât à 3 niveaux de barre de flèches, un Cigale de 16 m. Il s'agit du bateau personnel de Christophe Auguin, le vainqueur du Vendée Globe Challenge, ici en croisière, en famille, mais toujours sur l'eau !

Au sein de la marina comme dans toutes celles des îles portugaises de Macaronésie, une tradition sympa et colorée se perpétue : chaque équipage de passage dessine sur les murs. Il y précise le nom de son bateau, son port d'attache, la date de son passage et parfois la constitution de l'équipage et ses objectifs.



Semaine 7 : Les levadas de Madère

Madère a de nombreux surnoms : l'île aux fleurs, le jardin de l'Atlantique, le pays de l'éternel printemps. L'île est baignée par un climat océanique tempéré et la température toujours comprise entre 16 à 23°C.

Nous avons sillonné l'île en bus et en voiture. Au sud-ouest, les cultures de bananes en terrasse ou "poïo" escaladent les pentes abruptes et sont irriguées par un incroyable réseau de canaux, les levadas qui sont des sentiers en balcon. Nombreuses d'entre elles sont alimentées à partir du plateau Paul Da Serra à 1400 m, immense réserve d'eau. A la pointe nord-ouest se trouvent les piscines naturelles de Porto Moniz. Au nord, de nombreuses cascades arrosent la route en corniche. Au centre, une belle balade mène de Pico Ariero (1820 m) au Pico Ruivo (1861 m), les points culminants. Au sud-est, la pointe de Sao Lourenzo, la baie d'Abra et ses falaises volcaniques aux roches multicolores où nous avons mouillé en débarquant à Madère.

Pendant notre grande semaine d'arrêt à Funchal, la capitale de Madère, nous sommes allés quotidiennement au marché couvert. Marché aux fleurs : hibiscus, orchidées, bougainvillées, jacarandas ... Marché aux fruits : mangues, fruits de la passion ou maracujas, ananas, bananes ... Marché aux poissons : thon, sabre noir, sorte de longue anguille vivant à 1200 m de profondeur, espadon.



Semaine 8 : Désertes et sauvages

Le parc naturel de Madère occupe les deux tiers de la superficie de l'île de Madère et la partie montagneuse de Porto Santo. La priorité du parc est la préservation de la forêt indigène, la Laurisilva. Cette forêt commune aux archipels de Macaronésie n'existe désormais en bonnes conditions qu'à Madère. Le parc naturel possède aussi des réserves de végétation maritime destinées à protéger la faune et la flore très riches et les lieux de nidification des oiseaux migrateurs. Ces réserves sont situées sur les îles Desertas et Salvages. Pour mettre pied à terre sur ces îles, nous devons être en possession d'autorisations spéciales. Nous allons nous les faire délivrer au bureau du parc national situé dans le jardin botanique de Funchal.

Chacun des 3 groupes d'îles est gardé par 2 personnes. Passionnés, les gardiens toujours très accueillants nous emmènent faire un tour de leur île et débordent d'explications sur leur mission. La pêche et la chasse étant interdites, ils sont chargés de la surveillance de ces sites protégés. Nous en profitons pour plonger et observer des poissons de toutes sortes, perroquets, balistes, ...

Cependant, chaque île a sa mission propre. Désertas recense les phoques moines, les "lobos marinhos". Une quinzaine d'entre eux vivent dans les grottes de l'île Bugio au sud. Ces phoques à corps trapu, tête arrondie et face claire ont un dos marron foncé et un ventre jaune ; des rayures sur le corps permettent de les différencier. Ils pèsent de 25O à 300 kg et mesurent de 2 m à 2,60 m ; la femelle étant plus imposante que le mâle. Ils vivent principalement la nuit et se reposent le jour. Ils fuient l'activité humaine et les gardiens même ne peuvent les approcher. Grande Salvage bague les puffins cendrés. Ces grands oiseaux de haute mer, de plus de 1 m d'envergure, au bec jaune et dessus de queue noir, d'une longueur de 56 cm sont de remarquables migrateurs, descendant jusqu'au cap de Bonne-Espérance. A notre passage, après 3 semaines d'activité, près de 1500 bagues avaient été posées sur les poussins âgés d'un mois environ. Petite Salvage recense les nids d'Océanite ou Pétrel ressemblant à des terriers creusés à même le sable ou dans des éboulis. Le pétrel culblanc est un oiseau fin d'une longueur de 20 cm, de 48 cm d'envergure, au croupion blanc dont le vol est caractérisé par des petits sauts au ras de l'eau.

Une semaine très riche en nature et en émotion. Difficile de quitter les lieux et les hommes.



Semaine 9 : Une plongée particulière

De nombreuses espèces de cétacés sont observées aux environs de Madère et des Salvages. Les baleines, les cachalots et les dauphins (globicéphales, tursiops, dauphin commun, dauphin bleu et blanc, dauphin de Risso) évoluent dans un milieu d'une grande richesse écologique que la réserve des Salvages contribue à préserver. De plus, depuis 1986 un décret législatif régional interdit la poursuite, la capture et la mise à mort des mammifères marins dans les eaux de l'Archipel où furent tués jadis des milliers de cachalots.

Quelques heures avant notre arrivée à Graciosa, petite île de pêcheurs située au nord de Lanzarote, le vent est absent, la mer est plate, nous progressons au moteur. Une vingtaine de dauphins s'approche de Samana. Ils jouent et sautent à l'étrave. Ils restent un long moment et nous les observons tout à loisir.

Hubert lance : "Si nous allions les rejoindre". Partagés entre l'envie et l'appréhension, nous restons quelques temps encore à les admirer sans nous décider. Puis Sophie dégage la jupe où stationne l'annexe pendant les traversées et sort le matériel de plongée. Palmes, masques, tubas : tout est prêt. Quelques secondes passent, les dauphins s'éloignent. Nous les rappelons en grattant la coque ; deux d'entre eux reviennent. Hubert s'équipe, se met à l'eau. Il est bientôt rejoint par Sophie et Goulven. Malo s'installe dans l'annexe, la tête masquée et penchée à la surface de l'eau. Nous sommes à 3 m des dauphins, les uns regardant les autres. Le temps semble s'être arrêté : nous savourons ces instants privilégiés. Remontés à bord, l'excitation est à son comble. Une seule chose nous tient à cœur : recommencer et jouer avec eux !



Semaine 10 : La grande famille

Il y a ceux qui viennent de Méditerranée et qui débouchent tout droit de Gibraltar. Il y a ceux qui viennent d'Atlantique ou comme nous de Manche, qui ont traversé le golfe de Gascogne et doublé le cap Finisterre. Il y a ceux qui ont pris une année sabbatique et ceux qui voyagent 2 ou 3 ans voire une durée indéterminée. Il y a ceux qui font un tour de l'Atlantique avec des parcours plus ou moins étendus sur les côtes africaines ou américaines, ceux qui passeront Panama pour atteindre le Pacifique et les atolls, ceux qui partent pour le grand Nord ou le grand Sud et ceux qui font le Tour.

Si chaque cas est particulier, pour tous, la première véritable étape du voyage, c'est Madère. Et c'est là que petit à petit, la grande famille s'est constituée : Dose, Baobab, Rinos Eros, Chenrezick, Octobre, Coup d'Folie, Voyage, Mike Liberty, Citron vert, Hakuna Matata, Pot-Ana, Noroc ...

Depuis, nous nous retrouvons aux escales, naviguons en escadre ou communiquons par VHF, BLU ou standard C. Nous échangeons des informations (prêt d'instructions ou de cartes nautiques) ou nous rendons service (réparation de matériel, montage des lignes de pêche, paramétrage de logiciels de navigation, coupe de cheveux). Nous effectuons des activités en groupe, visites, randonnées ou longues soirées apéro ... Ce soir, nous dînons à 15 à bord de Coup d'Folie pour déguster le sacré coryphène de 1,60 m pêché et préparé par Michel et Marie-Claude de Mike Liberty tandis que les mousses se la coulent douce sur Hakuna Matata !



Semaine 11 : Et vogue la cambuse

La cuisine est une des principales activités du bord. Ne disposant pas, comme à terre, de certains ingrédients, ustensiles ou appareils électroménagers (le frigo par exemple), varier les menus demande un peu d'imagination. Il faut s'adapter en utilisant les provisions du bord, ne pas gaspiller et savoir tirer le meilleur parti des réserves. Encore faut-il en avoir ! Cette semaine, nous effectuons l'appro pour 2 mois, les navigations futures nous menant dans des zones à ravitaillement difficile voire impossible.

Tout commence par un repérage des magasins qui proposent de bons produits bien emballés. Facilité de rangement, solidité, conservation, possibilité de biodégradation sont des critères importants de choix. Les produits de base, farine, pâtes, riz, eau, lait, boissons sont prévus en grande quantité. Pommes, oranges, pamplemousses, citrons, bananes, tomates choisies vertes, oignons, pommes de terre, choux, carottes, pain, fromage et œufs constituent la réserve en frais. Les produits secs tels des fruits, céréales, biscuits et conserves sont utiles pour les jours de gros temps. Ne sont pas oubliés le gaz et le pétrole pour les lampes qui assurent la lumière et repoussent efficacement les moustiques.

A la livraison des courses, le rangement est méthodique. Une organisation logique des équipets, par famille de produits est primordiale. Elle facilite la tenue du stock et son accès. A bord, nous disposons de compartiments petit déjeuner, hors-d'œuvre et plat de résistance, dessert, produits de base, liquides, produit secs. Les emballages en carton sont supprimés pour éviter l'humidité et l'installation de cafards à bord. L'eau est stockée dans les fonds. Les légumes et fruits frais sont placés dans des bacs ventilés aux endroits les plus frais, à l'ombre et bien immobilisés.

En navigation, les produits frais sont surveillés quotidiennement. Le résultat de l'inspection détermine le menu du jour. Les yaourts et desserts lactés sont confectionnés à bord ainsi que le pain après épuisement du stock. Une fois par semaine, les réserves et niveaux d'eau sont contrôlés et les œufs retournés afin que le jaune n'atteigne pas la coquille. Tout un programme !



Semaine 12 : Les fous volants

Un look proche des 60 pieds Open du Vendée Globe et pourtant 3 fois plus petits, ce sont les bateaux de la Mini-Transat, véritables machines volantes quand ils surfent à 20 noeuds. Il faut dire que leur conception favorise le départ au planning : 180 kg la coque nue pontée/structurée, 900 kg en charge, 6,50 m de long, 3 m de large, un mât de 12 m de haut, 2 m de tirant d'eau, une quille à bulbe, 2 safrans, 2 dérives arrières. Un impressionnant bout-dehors leur permet de porter un spi asymétrique de 100 m2 : pratiquement la taille de celui de Samana, certes un peu petit !

La seconde étape de cette 11ème mini-transat, longue de 2700 milles, rallie Santa Cruz de Tenerife à Fort de France. Les conditions de départ sont difficiles : vent Force 8 de secteur Sud. Pendant les 2 heures précédant le départ, nous naviguons sur zone, bord à bord avec les minis, sans manquer d'encourager leurs skippers. Le départ donné et nous tirons un dernier bord parmi les concurrents avant de regagner la marina. Moins d'une heure plus tard, nous assistons aux premiers retours : démâtage, voile déchirée, safran perdu, bastaque cassée, coup au moral. Loïc et Jean-François, respectivement 13ème et 2ème à la première étape viennent se réconforter à notre bord avec un café. Jean-François, sa grand-voile recousue, repartira dans la soirée ; Loïc ne pouvant réparer dans un délai convenable, abandonnera. Il dînera avec nous et nous racontera sa première étape de course et son tour de l'Atlantique, réalisé, 9 ans plus tôt, en famille. Demain, il fera rapatrier son bateau en cargo. Début novembre, Loïc rejoindra les copains en Martinique.

Sympa, l'ambiance mini-transat !



Semaine 12 (bis) : Un étonnant voyageur

Déjà une journée de navigation vers la Mauritanie, notre seule escale en terre africaine. L'embargo en Sierra Leone, pays frontalier de la Guinée et de la Guinée Bissau et les 200 morts de Casamance ont réduit le nombre de nos destinations. Le vent est absent, nous progressons au moteur.

19 h TU : le soleil s'est couché il y a une demi-heure à peine et nous profitons des derniers instants de jour pour dîner dans le cockpit. Soudain, le son du moteur se modifie. Un rapide coup d'œil par-dessus bord permet de vérifier que l'évacuation de l'eau de mer qui refroidit le moteur ne s'effectue plus. Nous stoppons le moteur immédiatement et la séance démontage commence du côté de la pompe à eau de mer. La turbine est en parfait état mais ne tourne plus. La pompe, quant à elle, tourne normalement. Manuels de mécanique sous les yeux, nous procédons à l'inspection des pièces, au nettoyage, aux remontages progressifs, aux essais de démarrage sans succès. Il fait nuit noire maintenant. Nous verrons demain. Nous faisons demi-tour, direction les Canaries à 140 milles de là. Nous basculons sur une seule batterie et coupons les instruments et autres consommateurs d'énergie. La nuit est sans vent, nous ne sommes plus manœuvrants, faisons des 360° et dérivons.

Au matin, les investigations reprennent. L'axe de la pompe entraîné en même temps que la pompe à injection tourne à vide. Pourtant, le moteur démarre et une fois embrayé, nous avançons. Nous parvenons à entrer en contact avec notre formateur méca par l'intermédiaire d'un parent auquel nous envoyons des messages par standard C. En attendant une réponse, nous nous baignons, la mer est plate, l'eau est à 25°C, un joli poisson, rayé bleu et noir vient nous caresser les jambes. En début d'après-midi, nous lisons à l'écran que le doigt d'entraînement, qui tourne maintenant dans le vide, est initialement emmanché à force et collé à la loctite. Le collage auquel nous avons déjà songé s'avère être un processus normal. Aussitôt lu, aussitôt fait. Nous patientons pendant le séchage. Une surprise nous attend à la baignade : notre poisson pilote est toujours sous la coque. Il nous accompagne. Mais vers quelle destination ? Nous ne le savons pas nous-mêmes. A 17 h, nous mettons le moteur en route et l'évacuation de l'eau de mer s'effectue correctement. Nous faisons cap à l'est pour nous replacer sur la route sans présumer de la direction finale. 2 heures plus tard, le collage tient toujours, le vent revient, nous hissons les voiles et remettons le cap ... au Sud. A 0 h, nous atteignons la latitude de la veille, au moment de la panne, 29 h se sont écoulées.



Semaine 13 : Un accueil féerique

Demain, nous atterrissons en Mauritanie dans la région où eut lieu, en 1816, le tragique échouage de la frégate "La Méduse" rendu tristement célèbre par son fameux radeau et la toile de Géricault. Les lieux ont ici des noms évocateurs : la baie des autruches, des hyènes, des pélicans, la pointe des maures, des marais, du désert, des crabes, des langoustes ou des coquilles, le banc du goéland ou du lézard. D'autres font référence aux navires d'étude de missions hydrographiques françaises qui étudièrent la région entre 1817 et 1910 comme "Le Lévrier", "Le Trident", "L'Ardent", "Le Dumont d'Urville", "L'Archimède", "L'Etoile" ou "La Bayadère".

A nous de découvrir le Cap Blanc où vit la plus importante colonie de phoques moine, persécutés jadis, menacés aujourd'hui, ils ont délaissé les plages de sable pour se réfugier près des falaises ; cette immense baie du Lévrier large de 20 milles et haute de 30 avec sa faible profondeur et ses forts courants ; Nouadhibou, son port minéralier et le trafic incessant des cargos, ses centaines de chalutiers, au mouillage, à couple par dizaine, pendant la trêve de pêche de deux mois au milieu d'épaves qui ont trouvé là un repos définitif ; la baie de l'Etoile pratiquement fermée où s'est installé un centre de pêche sportive ; au Nord, la baie de l'Archimède et le désert qui vient y mourir ; à l'est, le parc national du Banc d'Arguin crée à l'initiative de naturalistes tels Théodore Monod, ses vasières et ses innombrables bancs de sable et au nord, les îles d'Arguin, du Trident et de l'Ardent. La nature semble s'être donnée rendez-vous là, dans cette étrange et étonnante région où la richesse ornithologique traduit celle du milieu halieutique.

Nous profitons enfin de l'alizé de nord-est. Nous filons sous génois tangonné à 7 nds de moyenne, des pointes à 9,5 nds sur les surfs. Quelques dauphins sont déjà présents pour le changement de quart de 1h du matin. Progressivement, c'est une trentaine puis une cinquantaine qui les rejoigne et nous accompagne. Ils jouent à la poupe de Samana, puis tels des étoiles filantes sous-marines prennent une accélération fulgurante, à 3 ou 4 de front, traçant un sillage blanc le long de la coque, pour venir sauter à l'étrave en un éclair lumineux. Le zooplanton, semblable à des billes sauteuses phosphorescentes, rebondit à l'infini, à la surface de l'eau, tentant d'échapper à ces dauphins euphoriques. Pendant plus d'une heure, nous assistons à un véritable festival, formidable ballet aquatique. Tout l'équipage est maintenant sur le pont, à savourer ce spectacle magnifique et inoubliable.

De merveilleuses minutes d'enchantement dans nos mémoires pour toujours.



Semaine 14 : Immersion amrig

Au lever du soleil, nous embarquons à bord d'une lanche. Cette barque à voile, non pontée, de 12 m est le bateau des Imraguen, les pêcheurs du désert. A bord, Mamhoud, Ali, Cher, Mohammed, Arza, âgés de 11 à 23 ans nous accueillent. Nous partons pour le tour de leur île, l'île d'Arguin. Le premier bord nous amène tout près des chacals sur la dune du continent. Le deuxième nous permet de contourner le banc en forme de lune du Nord de l'île. La grand voile latine nous propulse efficacement. Une grande jante de roue sert de brasero. Au milieu des braises de charbon de bois, dans la petite théière bleue se prépare le 1er thé de la journée. Il sera versé et reversé dans les petits verres jusqu'à obtention de la mousse traditionnelle en surface. Puis le tichtar, mulet séché est grillé sur la braise et ce sera le petit déjeuner. La marée est basse. Nous rasons sur bâbord le banc. A notre passage, quelques raies guitares déguerpissent à toute vitesse. Les oiseaux sont là. Nous observons à la jumelle quelques-unes des multiples espèces présentes sur le banc d'Arguin : les petits bécasseaux fouillent la vase inlassablement, les flamants roses s'envolent, les pélicans, jusqu'à 3 m d'envergure pour certains, déploient leurs ailes. Et sur tribord, d'énormes dauphins souffleur chassant le mulet nous dépassent doucement et majestueusement.

Nous affalons la voile latine, nous échouons sur le banc et la pêche commence. Elle se pratique à pied dans les eaux peu profondes à l'aide du "filet à épaule" enfilé sur 2 grands bâtons. 2 hommes se mettent à l'eau avec un bâton chacun. Mamhoud, le jeune amrig, progressant à 4 pattes puis marchant en s'enfonçant jusqu'aux genoux dans la vasière, tape le sol pour rabattre le poisson. Les 2 pêcheurs déroulent le filet en arc de cercle, tapent la surface de l'eau avec leur bâton, puis encerclent les poissons. Les poissons pris dans les mailles du filet sont attrapés, leurs ouïes sont ouvertes puis Mamhoud, ayant rejoint les pêcheurs, les enfile sur un gros fil de nylon. Nos amis renouvellent cette pêche 3 fois. La pêche est belle, 40 mulets jaunes, d'une taille de 80 cm, de 3 à 5 kg chacun.

Nous descendons le chenal du sud-ouest. Amar prépare le déjeuner. Il écaille et vide un poisson, nous en offre les œufs, la poutargue, puis le coupe en grosses tranches. Il sera cuit dans une grande casserole sur le brasero déplacé sur l'avant de la lanche pour activer le feu. Le mulet sera délicieux, mangé à pleine main dans un grand plat. Puis, nous tenterons de faire des boulettes avec le riz cuit dans le bouillon du poisson. Pas facile ! Nous voici rassasiés. Un thé et nous contournons la pointe sud de l'île et son sable blanc éblouissant. 2 nouveaux bords et nous regagnons Agadir, l'un des 7 villages imraguen. 1000 personnes vivent ainsi en autonomie, se nourrissant principalement de poisson. Pour combien de temps encore ?



Semaine 15 : No fachmal nino

A 400 milles au sud du Cap Blanc se trouve le Cap ... Vert et au large de ce cap, l'archipel du même nom. En forme de fer à cheval ouvert à l'Ouest, l'archipel comporte 10 îles devenues indépendantes en 1975, après 500 ans de colonialisme portugais. La langue officielle, le Portugais, est parlée par la moitié de la population mais c'est en fait le créole qui est entendu dans tout l'archipel. Notre réplique créole favorite "No fachmal, no fachmal nino" signifie pas de problème, pas de problème du tout. Les cap-verdiens sont sympathiques et ont le sens de l'hospitalité. Nous avons ainsi goûté au plat national, la cachupa, chez l'habitant. Le contact est facile. Nous nous sommes toujours sentis en sécurité, circulant le plus souvent à pied ou en stop sur les bancs en plein air des 4x4 qui sillonnent les îles.

Le vent dominant de Nord Est sépare naturellement les îles du nord, au vent (ou Barlavento) des îles du sud, sous le vent (ou Sotavento). Nous atterrirons sur une île du Barlavento, Sal où il est possible de faire l'entrée à l'aéroport international, découvrirons les 2 îles plages que sont Sal et Boa Vista avant de poursuivre vers les îles montagnes du Sotavento, Santiago et la capitale de l'archipel, Praia, puis Fogo et son volcan culminant à 2890 m dont la dernière irruption date de 1951 et enfin Brava, l'île aux hibiscus tournée vers le large.

La musique tient au Cap Vert comme dans toutes les sociétés esclavagistes, une place importante. Elle a été un moyen d'évasion, permettant d'oublier plus facilement les peines et de retrouver plaisir et goût de vivre. La "morna", musique empreinte de nostalgie à écouter et à danser, dont les thèmes évoqués sont les plus souvent l'exil et l'émigration, est née dans les années 1830, à Boa Vista. Et c'est à Brava qu'elle a pris ces lettres de noblesse grâce à Eugénio Tavarès, le poète qui écrivait ses vers en créole. Aujourd'hui, l'ambassadrice de la morna dans le monde entier est Césaria Evora, la diva aux pieds nus. Curieusement ou simple coïncidence, Boa Vista et Brava sont nos îles préférées : cette musique ne nous sera que plus nostalgique ! Saudade, saudade ...



Semaine 16 : Un fameux coup d'essai

Nous sommes mouillés sur Boa Vista, à 1 mille au sud du village de Sal Rei où il y a peu de temps encore l'exploitation de la saline était florissante. Les dunes environnantes sont magnifiques, d'une blancheur étincelante. La baie de Sal Rei, protégée à l'Ouest par l'îlot du même nom, est superbe et peu profonde. L'endroit est idéal pour la pêche. Citron Vert étrenne son trémail de 25 m, identique au nôtre et acquis au même endroit, à la coopérative de Saint Malo.

Au matin, les équipages français sont réquisitionnés pour relever le filet. C'est l'effervescence, sur l'annexe en maillot de bain, avec camescope et appareil photo et sous l'eau dans un équipement de plongée digne de Rambo. Le filet est rapproché de Citron Vert et remonté progressivement à bord. Les poissons, une quinzaine de requins de 80 cm environ, prisonniers du filet sont dégagés un par un. Reste la grosse prise qui se débat au pied de la jupe. Les plongeurs tentent de l'affaiblir en la tirant au fusil. Les flèches ricochent sur la dure et épaisse carapace. Après diverses manipulations, la bête réussit à s'échapper en déchirant le filet. Plus qu'une déception, c'est un véritable soulagement. Qu'aurions-nous fait de cet énorme requin tapis moucheté de 3 m de long ?

Les requins dont la peau malodorante est difficile à couper sont vidés puis la pêche est partagée. Chacun préparera le requin à sa guise. Au menu du dîner sur Vol au vent, le superbe catamaran d'un couple helvétique, soufflé de requin, requin à l'aïoli, colombo de requin, crème au caramel et chocolat suisse !



Semaine 17 : Une appro inespérée

Brava est l'île la plus montagneuse, la plus humide et la plus verte de l'archipel : rivières profondes, vallées abruptes et sommets élevés. La côte découpée présente plusieurs baies pourvues de bons fonds propices aux mouillages. Faja d'Agua est le mouillage de la côte ouest ; c'est aussi la dernière escale des voiliers en instance de transat et l'occasion ou jamais de s'approvisionner en frais ! " Mission difficile, il n'y a pas de commerce dans le village et le marché de la ville principale, Nova Cintra, située à 5 km reste désespérément vide " nous confient les copains.

Le débarquement s'avère sportif, les maillots de bain et sacs étanches sont obligatoires. Il faut repérer les trains de vague et choisir le bon sinon gare au bain forcé quand la vague déferle et au massage par les galets quand elle se retire. A peine, avions-nous débarqué, que José, nous propose des fruits. Nous l'accompagnons. 3 heures plus tard, toujours en sa compagnie, nous sommes rafraîchis par un bain dans un réservoir d'eau douce, ragaillardis par un petit verre de grogue local et alourdis par des kilos de fruits et légumes. Les filles de la ferme "d'en haut" ont cueilli directement dans l'arbre, sous nos yeux, les mangues, papayes et fruits de l'arbre à pain. Puis, pommes de terre dites anglaises, noix de coco, manioc, patates douces sont venus progressivement compléter nos courses. Il fut même convenu que Goulven irait chercher des œufs chez notre guide le jour du départ. Le lendemain, nous ramènerons de Nova Cintra le seul kilo de tomates présent sur le marché. Au cours de la visite de la fabrique artisanale de rhum, nous choisirons dans l'arbre un régime de bananes et ferons remplir deux bouteilles pour de futurs ti-punch.

Une appro inespérée et nous voilà parés pour la traversée.